Un grand merci au journaliste Stève Polus pour son
article consacré à Isabelle … Une plume sensible pour un beau texte paru dans
le dernier numéro du Wolvendael
Magazine (Juin / n°610) … À lire !
S.C.
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Isabelle Thiltgès
Le plein de vie à sculpter
Photos © Mireille Robbaert
A deux cent mètres de la Bascule, un
atelier s'ouvre sur des sculptures qui vous racontent silencieusement
l'histoire d'une femme qui ne cesse de regarder le monde.
Entrer chez Isabelle Thiltgès
m'a curieusement rappelé un titre de Robert Heinlein, "Une
porte ouverte sur l'été". Il y avait une histoire de pluie, au début. Avec un chat, qui poussait
toutes les portes donnant sur l'extérieur dans l'espoir d'en trouver une qui
ouvre enfin sur le soleil. Chez elle, les battants de la porte cochère
débouchent - comme on s'y attend - sur un large couloir et ce couloir, sur une
oasis centrale baignée de lumière et peuplée de sculptures. Une verrière face à
une cour intérieure nourrit de soleil des palmiers et des plantes exubérantes.
Elles caressent de leur feuillage une silhouette humaine élancée, toute
blanche. Sur son épaule droite, une réplique miniature d'elle-même, noire comme
un basalte égyptien. On passe très simplement avec elles et leur jardin secret
du blanc au vert, du petit au grand, des fractales de l'exubérance végétale à
une linéarité humanisée, fluide, tout juste esquissée. Changements d'échelle et
de perspective, entre mouvement et immobilité.
L'envers du décor
Cet aller-retour instantané
entre des mondes en miroir est d'une simplicité impressionnante. Isabelle
Thiltgès a appelé sa sculpture "Tout simplement". Elle explique avec
la même simplicité: "Les plantes étaient déjà là,
quand j'ai découvert cette maison que j'adore. La fille de Marcel Broodthaers,
qui habitait ici, les y avait installées. Elles s'y plaisent autant que
moi." Tout le monde s'y
plairait. Le soleil réchauffe un dallage luisant de propreté, pas un grain de
poussière malgré la proximité de l'atelier installé au fond dans une petite
maison à l'arrière. D'anciennes écuries, qui conservent encore abreuvoir et
râtelier à foin. Du dallage noir au sol, on passe aux briques anciennes de la
cour et de l'atelier peuplé de formes aériennes. Murs blancs et parquet dans la
maison-salle d'exposition, vert vif des châssis de fenêtres, la palette de
couleurs toute simple ne distrait pas le regard qui vient se poser
naturellement sur les sculptures, comme la miniature sur l'épaule de sa grande
sœur. "Celle-là, c'est amusant, je l'avais en main et
c'est de manière instinctive, irréfléchie, que je l'ai posée sur l'épaule de
l'autre." Irréfléchie
peut-être, instinct sûrement et, surtout, un regard aiguisé par le travail.
Trente ans de sculpture, au bas mot, depuis qu'Isabelle, alors jeune épouse
d'un Belge travaillant à Paris, y a poussé la porte de l'atelier d'une
céramiste-sculpteur, Catherine Mathieu. "Il
faut aiguiser ton regard et ne pas regarder que le sujet et sa matière, mais
aussi l'espace qui l'entoure", lui répétait son professeur. La première leçon, on ne l'oublie jamais.
Dans sa maison comme dans ses œuvres, Isabelle sculpte l'espace, ménage des
perspectives, dialogue avec le vide. "Le vide est aussi important que
le plein", dit-elle.
La présence du vide
Le vide, elle y installe par on
ne sait quelle alchimie une présence invisible, mais qu'on ressent
physiquement. Des cercles aériens,
parfois de bronze, parfois d'un composite de résine-bronze pour les alléger,
dans lesquels s'inscrivent des silhouettes d'oiseaux. Le nez-à-nez d'une tête
et d'un bec stylisés, étonnante conversation silencieuse. Aussi silencieuse que
les interrogations que suscitent ces œuvres pourtant parlantes, comme leurs
titres: la Soumission, la Tempête, le Seuil, Sérénité, Re.Connaissance, le
Plongeon, la Plénitude, Légèreté... Des envols aériens. Mais aussi des
figuratifs très concrets, le Baiser, l'Indien au Turban, la Dame aux Frites -
elle les a sur la tête! -, la Grande Culbute, tout en fesses et courbes
voluptueuses, qui a été exposée dans le Gouffre de Padirac où elle fait encore
sourire les âmes simples. De surprenants profils de visages en colère comme des
statuettes d'une grande tendresse, deux demi-têtes accolées dos à dos qui
symbolisent l'Envers du Décor. Une figurine esquisse un pas de danse derrière
une colonne d'autres qui marchent au pas de l'oie: elle s'appelle Sans Moi...
Une série d'œufs en terre lissée mais laissée volontairement brute; leur
toucher est d'une étonnante finesse. "J'aime depuis toujours la
sensualité de la terre, j'ai mis longtemps à aimer le bronze." Des faces de médaille aux expressions différentes:
influence des cours de morphopsychologie qui ont passionné Isabelle Thiltgès à
une autre époque: "L'une est le passé, peut-être le
présent, l'autre le futur." Elle aussi semble osciller en permanence entre les deux, comme toutes ces
créations si différentes, qui expriment chaque fois le ressenti d'une période
de vie.
A la source
Regarder, respirer, inspirer.
Quand l'inspiration est là, elle est évidemment mélange de toutes les alluvions
laissées sur les rives d'une vie. L'enfance uccloise d'une gamine qui aimait
déjà le modelage et la terre, fille de parents aux origines plurielles -
belge-hollandaise-anglaise-écossais-irlandaise, avec un nom aussi espagnol que
luxembourgeois -, qui a commencé la sculpture pour se guérir du chagrin de la
perte d'un père. Une existence parisienne pendant trente ans, avec des voyages
partout, mais surtout en Inde où elle est allée sept fois. Avec le coup de
massue et l'éblouissement simultanés et classiques pour ceux qui encaissent le
choc de ce pays. "On en a tous les sens en éveil,
ça nourrit énormément ce qu'on fait. Et ce qu'on fait, à son tour, vous fait
réfléchir et vous apprend quelque chose de vous-même." Les voyages, la vie, sont ses véritables influences bien
plus inclassables que la force de Rodin, la simplicité de Brancusi ou la
rondeur de Pompon. D'Inde, Isabelle Thiltgès n'a pas ramené que des sculptures
et des influences. "J'aime cette philosophie qui,
là-bas, vous fait voir le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide, comme
ici." Plein ou vide,
quelle importance? La source n'est pas près de tarir.
Stève Polus
Atelier-galerie
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