jeudi 28 mai 2015

Isabelle vue par le journaliste Stève Polus … Un Grand Merci pour ce beau texte !


Un grand merci au journaliste Stève Polus pour son article consacré à Isabelle … Une plume sensible pour un beau texte paru dans le dernier numéro du Wolvendael Magazine (Juin / n°610) … À lire !
S.C.


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Isabelle Thiltgès
Le plein de vie à sculpter
Photos © Mireille Robbaert


A deux cent mètres de la Bascule, un atelier s'ouvre sur des sculptures qui vous racontent silencieusement l'histoire d'une femme qui ne cesse de regarder le monde.  

Entrer chez Isabelle Thiltgès m'a curieusement rappelé un titre de Robert Heinlein, "Une porte ouverte sur l'été". Il y avait une histoire de pluie, au début. Avec un chat, qui poussait toutes les portes donnant sur l'extérieur dans l'espoir d'en trouver une qui ouvre enfin sur le soleil. Chez elle, les battants de la porte cochère débouchent - comme on s'y attend - sur un large couloir et ce couloir, sur une oasis centrale baignée de lumière et peuplée de sculptures. Une verrière face à une cour intérieure nourrit de soleil des palmiers et des plantes exubérantes. Elles caressent de leur feuillage une silhouette humaine élancée, toute blanche. Sur son épaule droite, une réplique miniature d'elle-même, noire comme un basalte égyptien. On passe très simplement avec elles et leur jardin secret du blanc au vert, du petit au grand, des fractales de l'exubérance végétale à une linéarité humanisée, fluide, tout juste esquissée. Changements d'échelle et de perspective, entre mouvement et immobilité.

L'envers du décor
Cet aller-retour instantané entre des mondes en miroir est d'une simplicité impressionnante. Isabelle Thiltgès a appelé sa sculpture "Tout simplement". Elle explique avec la même simplicité: "Les plantes étaient déjà là, quand j'ai découvert cette maison que j'adore. La fille de Marcel Broodthaers, qui habitait ici, les y avait installées. Elles s'y plaisent autant que moi." Tout le monde s'y plairait. Le soleil réchauffe un dallage luisant de propreté, pas un grain de poussière malgré la proximité de l'atelier installé au fond dans une petite maison à l'arrière. D'anciennes écuries, qui conservent encore abreuvoir et râtelier à foin. Du dallage noir au sol, on passe aux briques anciennes de la cour et de l'atelier peuplé de formes aériennes. Murs blancs et parquet dans la maison-salle d'exposition, vert vif des châssis de fenêtres, la palette de couleurs toute simple ne distrait pas le regard qui vient se poser naturellement sur les sculptures, comme la miniature sur l'épaule de sa grande sœur. "Celle-là, c'est amusant, je l'avais en main et c'est de manière instinctive, irréfléchie, que je l'ai posée sur l'épaule de l'autre." Irréfléchie peut-être, instinct sûrement et, surtout, un regard aiguisé par le travail. Trente ans de sculpture, au bas mot, depuis qu'Isabelle, alors jeune épouse d'un Belge travaillant à Paris, y a poussé la porte de l'atelier d'une céramiste-sculpteur, Catherine Mathieu. "Il faut aiguiser ton regard et ne pas regarder que le sujet et sa matière, mais aussi l'espace qui l'entoure", lui répétait son professeur. La première leçon, on ne l'oublie jamais. Dans sa maison comme dans ses œuvres, Isabelle sculpte l'espace, ménage des perspectives, dialogue avec le vide. "Le vide est aussi important que le plein", dit-elle.

La présence du vide
Le vide, elle y installe par on ne sait quelle alchimie une présence invisible, mais qu'on ressent physiquement.  Des cercles aériens, parfois de bronze, parfois d'un composite de résine-bronze pour les alléger, dans lesquels s'inscrivent des silhouettes d'oiseaux. Le nez-à-nez d'une tête et d'un bec stylisés, étonnante conversation silencieuse. Aussi silencieuse que les interrogations que suscitent ces œuvres pourtant parlantes, comme leurs titres: la Soumission, la Tempête, le Seuil, Sérénité, Re.Connaissance, le Plongeon, la Plénitude, Légèreté... Des envols aériens. Mais aussi des figuratifs très concrets, le Baiser, l'Indien au Turban, la Dame aux Frites - elle les a sur la tête! -, la Grande Culbute, tout en fesses et courbes voluptueuses, qui a été exposée dans le Gouffre de Padirac où elle fait encore sourire les âmes simples. De surprenants profils de visages en colère comme des statuettes d'une grande tendresse, deux demi-têtes accolées dos à dos qui symbolisent l'Envers du Décor. Une figurine esquisse un pas de danse derrière une colonne d'autres qui marchent au pas de l'oie: elle s'appelle Sans Moi... Une série d'œufs en terre lissée mais laissée volontairement brute; leur toucher est d'une étonnante finesse. "J'aime depuis toujours la sensualité de la terre, j'ai mis longtemps à aimer le bronze." Des faces de médaille aux expressions différentes: influence des cours de morphopsychologie qui ont passionné Isabelle Thiltgès à une autre époque: "L'une est le passé, peut-être le présent, l'autre le futur." Elle aussi semble osciller en permanence entre les deux, comme toutes ces créations si différentes, qui expriment chaque fois le ressenti d'une période de vie.

A la source
Regarder, respirer, inspirer. Quand l'inspiration est là, elle est évidemment mélange de toutes les alluvions laissées sur les rives d'une vie. L'enfance uccloise d'une gamine qui aimait déjà le modelage et la terre, fille de parents aux origines plurielles - belge-hollandaise-anglaise-écossais-irlandaise, avec un nom aussi espagnol que luxembourgeois -, qui a commencé la sculpture pour se guérir du chagrin de la perte d'un père. Une existence parisienne pendant trente ans, avec des voyages partout, mais surtout en Inde où elle est allée sept fois. Avec le coup de massue et l'éblouissement simultanés et classiques pour ceux qui encaissent le choc de ce pays. "On en a tous les sens en éveil, ça nourrit énormément ce qu'on fait. Et ce qu'on fait, à son tour, vous fait réfléchir et vous apprend quelque chose de vous-même." Les voyages, la vie, sont ses véritables influences bien plus inclassables que la force de Rodin, la simplicité de Brancusi ou la rondeur de Pompon. D'Inde, Isabelle Thiltgès n'a pas ramené que des sculptures et des influences. "J'aime cette philosophie qui, là-bas, vous fait voir le verre à moitié plein plutôt qu'à moitié vide, comme ici." Plein ou vide, quelle importance? La source n'est pas près de tarir.

Stève Polus


Atelier-galerie ouvert tous les jours sur rendez-vous

34, rue Général Patton, 1050 Bruxelles

+32 491 94 03 87 / +33 6 80 18 91 27







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